Dans Le Monde:

Qui pense à la violence à l’œuvre dans l’Histoire – et qui n’y penserait pas aujourd’hui, dans un monde plus belliqueux que jamais ? – ne manque pas de grain à moudre. Assassinats politiques des dictatures, boucheries des guerres, abjection des génocides, barbarie du terrorisme, les motifs d’effarement, et partant de mise à distance, sont nombreux. Il est pourtant certains crimes, non moins monstrueux, mais moralement plus problématiques, plus affolants que d’autres. Ce sont ceux qui sont commis au nom d’idéaux que tout honnête homme pourrait partager : l’exigence de justice historique, d’équité sociale, d’égalité entre les hommes. Un tel cas est exemplairement incarné dans l’histoire contemporaine par la Fraction armée rouge (RAF pour Rote Armee Fraktion), alias la bande à Baader. C’est à ce groupe que s’intéresse le cinéaste Jean-Gabriel Périot, venu de l’univers des arts plastiques et du cinéma expérimental, qui signe aujourd’hui avec Une jeunesse allemande son premier long-métrage.

Voilà quinze ans que Périot traite dans ses courts-métrages de la violence politique, à partir de divers matériaux d’archives, en premier lieu les films. A l’instar de ses brillants aînés Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi (auxquels le Centre Pompidou rend actuellement hommage), une religion gouverne son cinéma de montage : l’absence de voix off. La parole est donc, pour ainsi dire, aux images, et à la main qui, silencieusement, les assemble de manière à en tirer un récit, une émotion, une réflexion, une relecture de l’histoire….
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/cinema/article/2015/10/13/une-jeunesse-allemande-de-la-revolte-a-la-terreur_4788156_3476.html#fDPBGhM2dRTocfCT.99

Dans Les Inrocks:

Une plongée documentaire dans le parcours des fondateurs de la bande à Baader.

Autrement connue sous le nom plus romantique de bande à Baader, la Fraction armée rouge a constitué à partir de 1968 l’œil du cyclone contestataire en Allemagne de l’Ouest. Prenant sa source dans les mouvements étudiants concomitants à ceux des droits civiques aux Etats-Unis ou de Mai 68 en France, elle a d’abord usé de moyens artistiques, journalistiques (films militants, revue Konkret…) avant d’incarner l’une des forces d’action les plus redoutables des années de plomb, propageant au sein de la jeunesse germanique des velléités de guérilla urbaine et perpétrant vols, braquages et attaques de bâtiments publics.

Entièrement construit à partir d’archives, le docu Une jeunesse allemanderestaure le fil conducteur de ces années, de la douce ferveur universitaire à l’opiniâtreté morbide de l’action terroriste, en compilant extraits d’actualités télévisées et de débats, films avant-gardistes tournés par ceux qui plus tard prendront les armes, bouts de vidéo glanés ici et là (avec notamment une séquence autofictionnelle mettant en scène Fassbinder et sa mère), autant de régimes de production d’images a priori hétérogènes, voire adversaires, que Jean-Gabriel Périot arrange pourtant en un continuum étonnamment fluide, une bande historique dont tous les blocs parviennent de façon saisissante à se coaliser en un seul corps grâce à une équation simple mêlant qualité des ressources, intelligence du sujet et travail titanesque au montage.

Minutie de mosaïste

Car c’est bien du fait de ce travail de fourmi, de cette minutie de mosaïste que se dessinent les motifs généraux du film, contours d’images plus indicibles et hors du domaine du filmable, que l’assemblage du puzzle trace avec une remarquable netteté : glissement de la logique politique à la logique militaire, commodité malsaine du terme “terroriste”, consentement à la coercition policière savamment soutiré à tout un pays, mise en scène médiatique de la traque d’une poignée de parasites désignés.

Une jeunesse… est particulièrement beau par sa manière de pister la figure d’Ulrike Meinhof qui semble appartenir à tous les mondes dépeints par le film, révélée dans le calme dialectique des débats télévisés, reparaissant à peine plus tard dans le chaos des guerillas. Son indéfectible moue écœurée dit bien à quel point l’engagement de ces jeunesses rouges tient de la nausée, du dégoût de vivre à l’intérieur du système qu’on s’obstine à combattre, et l’issue tragique de la bande, malgré son caractère inacceptable, prend avec elle une connotation étrangement libératrice : enfin, quitter l’enfer.

Une jeunesse allemande de Jean-Gabriel Périot (Fr., Sui., All., 2015, 1 h 33)

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